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Sororité : un concept façonné au gré de l’Histoire ? 

sororité

Podcasts, livres, conférences, la « sororité » est partout et s’invite dans les médias. Mais qu’est-ce que la sororité ? Quel est le sens de ce mot et quelles réalités recouvre-t-il ? Pourquoi ne pas se contenter du terme « fraternité », censé exprimer l’universalité des relations amicales, tous sexes confondus ? Retour sur une idée pas si récente que ça.

Qu’est-ce que la sororité ? 

Le mot sororité vient d’un constat simple : il n’existe pas de terme précis pour décrire les liens de solidarité et d’amitié entre femmes. Le mot « fraternité », employé depuis des siècles, renvoie à l’idée d’une entraide et d’une camaraderie toute masculine, mais où les femmes sont absentes.

Un concept ancien

Le mot sororité existe dès le Moyen-Âge. Son sens est restreint, car il n’est employé que pour désigner des communautés religieuses de femmes. Dans des lieux de vie sécurisés, les femmes créent leurs propres règles et transmettent leurs savoirs à leurs semblables.  Toujours à l’époque médiévale, les Béguines créent, elles aussi, des communautés, mais cette fois-ci laïques. Ces femmes n’appartenant à aucun ordre religieux vivent en autogestion. Elles se retrouvent dans des mini-cités avec jardins, habitations et bibliothèques partagés, bien souvent, pour échapper à un nouveau mariage en cas de veuvage. Victime des persécutions et procès en hérésie, le mouvement disparaît cependant rapidement.

La sororité pour cette époque prend le visage de femmes solidaires réunies pour plus de liberté loin des hommes.

Les confréries d’étudiantes américaines ou sororités

Ensuite, le mot sororité se retrouve dans les universités américaines au XIXe siècle.

Conçues comme des « écoles de la vie », les confréries universitaires complètent les enseignements traditionnels en accompagnant les étudiants. Les nouveaux apprenants, souvent loin de chez eux, peuvent ainsi compter sur un réseau social fort. Mais les filles en sont exclues. Les étudiantes américaines créent donc leurs propres clubs, des « sororités ». La plus ancienne est la Gamma Phi Beta, une organisation semi-clandestine de femmes de l’université de Syracuse, fondée en 1874.

La sororité existe aussi au cœur du mouvement scout de la fin du XIXe siècle. Tout comme les étudiantes, les jeunes filles ne sont pas admises dans ces activités d’extérieur, jugées inadéquates pour leur sexe. Elles aussi se rassemblent spontanément, puis seront réunies sous la bannière du fondateur du scoutisme.

Dans ces deux mouvements, il n’y a pas encore de cheffes de file ou de théorie particulière, juste le besoin pour les jeunes filles de l’époque d’avoir droit aux mêmes activités que les garçons.

Unir les femmes sous une même bannière : la sororité militante du XXe siècle. 

Un phénomène au cœur des mouvements féministes des années 1970

Sororité : un concept façonné au gré de l’Histoire ? 

Apparemment oublié, le mot sororité ne réapparait qu’au milieu du XXe siècle avec les mouvements féministes. Un livre change la donne et la notion de sororité explose. Sisterhood is powerful de Robin Morgan (La sororité est puissante, en français). Ce livre est le premier à rassembler des écrits féministes d’auteures engagées. Considéré comme l’un des 100 livres les plus influents du XXe siècle, Robin Morgan y théorise ce qu’est pour elle la sororité : une condition commune aux femmes. La sororité est aussi présentée comme un rapport de solidarité qui les unit puisqu’elles partagent la même condition féminine. Par sororité, les femmes de cette époque entendent se réunir pour mieux combattre le patriarcat, en laissant de côté les différences de classes et de races.

Déconstruire la rivalité féminine

Diviser pour mieux régner, tel pourrait être le slogan du patriarcat. Les féministes de la deuxième vague se rendent compte rapidement qu’une rivalité sournoise est entretenue entre les femmes depuis des décennies. Or, sans rassemblement, pas d’évolution ni de changement envisageable pour les femmes. Que ce soit sur les sujets de la maîtrise du corps, de l’égalité de rémunération, les Françaises se regroupent en collectifs de femmes et s’emparent du concept de la sororité. La solidarité entre femmes doit leur permettre de dépasser ces jalousies. Le MLF, Mouvement de Libération de la Femme, reprend le mot dans ses chants.

D’ailleurs, pour Benoîte Groult, il faut réconcilier les femmes en posant la bienveillance comme base de la sororité. Elle popularise le concept encore peu connu dans La touche étoile et explique dans Ainsi soit-elle : « c’est le livre de l’amitié que je voudrais écrire, ou plutôt le livre de ce qui n’existe pas encore, d’un sentiment et d’un mot qui ne sont même pas dans le dictionnaire et qu’il faut bien appeler, faute de mieux, la fraternité féminine ». 

Un concept pour les oubliées de la citoyenneté

Ségolène Royal utilise le terme dans un discours à la veille de la journée de la femme, le 8 mars 2007. C’est par la sororité qu’elle entend redonner aux femmes leur place dans la cité. Celles que la France a oubliées doivent, d’après elle, oser se battre et relever la tête. Elle complète ainsi la devise nationale : « Liberté, égalité, fraternité, aujourd’hui à Dijon, j’en appelle à la sororité ».

La chercheuse Réjanne Sénac confirme, elle aussi, dans son ouvrage Les non-frères au pays de l’égalité, que les femmes ont dû davantage se battre après la Révolution française pour conquérir des droits déjà acquis aux hommes. 

La sororité, selon ces deux figures militantes, s’envisage donc comme une solidarité de femmes pour une reconquête de leur place, en tant que citoyennes.

La sororité aujourd’hui : départ de la 4e vague féministe ?

Le déclencheur de la sororité 3.0 : l’affaire Weinstein

Hors des rangs des politiques, c’est avec l’affaire Weinstein que la notion ressurgit.

Nombreuses sont les femmes qui témoignent de la multitude des violences faites aux femmes. Une vaste cohésion, portée par les slogans #Metoo, puis « Balance ton porc », renouvelle l’idée de sororité. Les victimes de viol retrouvent une autre forme de solidarité en s’associant pour porter plainte et faire entendre leur voix en justice.

D’après Bérengère Kolly, philosophe et maîtresse de conférence en philosophie, « il y a un jeu de miroirs ». Chaque femme se voit dans l’autre comme une sœur, en révélant que ça lui est arrivé. « Je le vois chez elle, je le vois chez moi ». « La sororité énonce le fait qu’il y a une oppression qui s’appelle la domination masculine et qui touche toutes les femmes ». 

Ainsi, la sororité semble plus forte que jamais. Certains entrevoient même la base d’une 4eme vague féministe dénonçant les violences sexuelles et renversant l’ordre établi du patriarcat.

Un outil du pouvoir féminin 

Un nouveau mot, c’est une nouvelle façon d’exister

Il a fallu attendre 2021 et l’ouvrage Sororité de la romancière Chloé Delaume pour renouveler le terme. Cette dernière réexamine ce que signifie être une femme aujourd’hui. Elle questionne les rapports de domination et invite à imaginer le monde de demain. 

La sororité est pour elle un outil de pouvoir féminin, une sorte de cercle protecteur horizontal. 

Ainsi, sous des formes aussi diverses que des chansons, des poèmes, des fictions ou des récits, la romancière propose à un collectif de femmes de s’exprimer. Chaque chercheuse propose dans son opus une définition de la sororité à travers sa propre expérience. Pour l’une, ce sera l’expérience du viol qui rassemble des inconnues. Pour une autre, « c’est presque un verbe qui exprime l’attention portée à ses sœurs, aux femmes que l’on aime et qui nous entourent et que l’on défend ». 

Parmi d’autres théories évoquant la sororité, circule aussi l’idée de ne pas faire ou dire de mal d’une autre femme. C’est ce qu’explique Alice Coffin dans son ouvrage, Le génie lesbien. Pour les adeptes de cette tendance, le patriarcat critique et rabaisse déjà la femme. Pas besoin qu’on en rajoute, surtout si on est soi-même une femme.

Enfin, les détracteurs de la sororité parlent d’un concept fini et naïf et préfèrent le terme « adelphe », qui dépasse tout clivage. 

De nouveaux visages de la sororité : les réseaux

La sororité aujourd’hui se trouve dans les nombreux collectifs qui ont émergé. Ces femmes se rassemblent en associations et lobbies afin de faire progresser la condition féminine. Salariées, mères, cheffes d’entreprises ou élues, elles savent que le réseau reste un prérequis pour se lancer dans l’entrepreneuriat ou la vie publique. Des clubs de mentorat et de conseil entourent ces femmes avec bienveillance.

Il s’agit pour certaines d’obtenir les mêmes chances d’apprendre que les hommes, sans se sentir jugées ou harcelées. 

Terme qui a évolué au fil des revendications et des prises de conscience féminine, la sororité continue de se construire et de se réinventer. Au-delà du militantisme des débuts, il pose le combat commun des femmes contre le patriarcat et la volonté de créer un « nous féminin ». Il exprime aussi la naissance d’un désir de solidarité et de bienveillance entre femmes. En réunissant les femmes, la sororité leur a donné un nouveau pouvoir.

➡️ Lire aussi : Sexisme en politique, encore un long chemin à parcourir

Laure Lebrun

Sources : 

https://www.cairn.info/revue-la-chaine-d-union-2013-2-page-60.htm

https://www.lemonde.fr/culture/article/2018/04/06/liberte-egalite-sororite_5281851_3246.html

https://www.femininbio.com/societe/actualites-et-nouveautes/8-mars-2022-pourquoi-la-sororite-sauvera-t-elle-le-monde-60560

https://www.nouvelobs.com/rue89/notre-epoque/20180611.OBS8006/au-fait-d-ou-vient-cette-sororite-sans-cesse-invoquee-par-marlene-schiappa.html

https://journals.openedition.org/genrehistoire/363

https://www.rfi.fr/fr/emission/20161218-gros-mots-abecedaire-feminisme

https://www.europe1.fr/societe/sororite-alice-coffin-livre-son-interpretation-dun-concept-invisibilise-4040286

https://www.journaldesfemmes.fr/societe/guide-pratique/2688235-sororite/

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