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#5 Lucile Peytavin : le coût de la virilité en France (Interview)

Lucile Peytavin - le coût de la virilité
Lucile Peytavin

Dans son essai Le coût de la virilité – Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme des femmes, Lucile Peytavin dresse un constat alarmant du coût de la virilité en France. Elle a constaté que les tendances agressives et violentes des hommes engendrent des dépenses colossales. En effet, chaque année l’État débourse 95 milliards d’euros pour des faits de criminalité exclusivement masculins. Comment expliquer ce phénomène ? Qu’alimente cette somme colossale et par quels moyens la réduire ? Lucie Peytavin, historienne et membre du Laboratoire de l’égalité, répond à nos questions.

Quel est le coût de la virilité ? Le constant alarmant de Lucile Peytavin

La surreprésentation des hommes dans les actes de violence

« Si tous les hommes ne sont pas des criminels et des délinquants, la quasi-totalité des criminels et des délinquants sont des hommes. »

Le constat de l’historienne est sans appel : les hommes sont responsables de l’immense majorité des faits de violence, de criminalité et de délinquance. Quel que soit leur âge, leur milieu social ou leur niveau d’éducation, les hommes ont 6 fois plus de risques de basculer vers la criminalité qu’une femme. Ce fléau est mondial. En effet, dans la grande majorité des pays, la population carcérale est majoritairement masculine. À titre d’exemple, Hong Kong est le territoire où le taux de prisonnières le plus élevé au monde avec 20 %. En France, seuls 4 % des prisonniers sont des femmes.

Par ailleurs, les hommes sont surreprésentés dans toutes les catégories d’actes de délinquance. En France, ils sont responsables de : 

  • 84 % des auteurs d’accidents de la route mortels, 
  • 86 % des mis en cause pour meurtre, 
  • 97 % des auteurs de violences sexuelles,
  • 95 % des vols avec arme.

À cela, faut-il ajouter que ces statistiques ne tiennent pas compte des infractions n’ayant fait l’objet d’aucune de poursuite. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes, mais ce qui interpelle davantage ce sont les énormes répercussions financières qui découlent de ces actes. 

L’incroyable coût financier de la virilité pour la société 

Lucile Peytavin estime le coût de la virilité à 95 milliards d’euros par an. Pour parvenir à cette somme colossale, l’historienne a consulté « les valeurs de la vie statistique ». Ces dernières sont très souvent utilisées par les économistes pour déterminer «  la somme que la société est disposée à débourser pour sauver un citoyen ». Nous apprenons, par exemple, qu’une vie humaine coûte 3 millions d’euros au pays, ou que 400 000 euros sont déboursés par l’État pour soigner un blessé grave et 16 000 euros pour un blessé léger. En croisant les différentes données, Lucile cumule les coûts liés aux homicides, aux violences volontaires ou aux viols du fait des hommes. Puis, elle soustrait les sommes inhérentes aux dommages des femmes. Ce coût de 95 milliards d’euros ne correspond alors qu’aux sommes supportées par la société pour des faits de criminalité masculine. 

Chaque année, l’État doit donc supporter : 

  • des dépenses directes comme les frais de justice, de forces de l’ordre ou de services de santé ;
  • des dépenses indirectes liées aux souffrances physiques et psychologiques des victimes, la destruction de biens ou la perte de la productivité.

Notez que ces sommes sont encore sous-estimées, car de nombreuses données ne sont pas ventilées par sexe. De plus, un grand nombre d’infractions ne font l’objet d’aucune poursuite pénale comme les agressions de rue, les agressions verbales ou les dégradations de mobilier urbain. Le coût de la virilité pourrait alors allègrement dépasser les 100 milliards d’euros annuels. 

La virilité : un système de valeurs qui s’est construit dans le temps

L’évolution des comportements au travers des époques 

L’étude de l’Histoire nous apprend que les différences de comportement et de traitement entre hommes et femmes n’ont pas toujours existé. En effet, au Paléolithique (-3 000 000 ; -12 000 avant notre ère), les chercheurs se sont rendu compte que les sociétés étaient assez égalitaires. En analysant les squelettes, ils se sont aperçus que les hommes et les femmes semblaient travailler de la même manière et mener sensiblement la même vie. Ce n’est qu’au Néolithique (-6 000 ; -2 200 avant notre ère), que les premières inégalités se sont fait sentir. Les hommes ont alors commencé à exercer leur domination avec le déploiement de l’agriculture et le maniement des armes en métal, qui leur étaient réservées. Depuis, les valeurs de la virilité se sont progressivement développées pour atteindre le niveau que nous leur connaissons aujourd’hui. 

Les réponses scientifiques aux accès de virilité

La science a prouvé qu’« il n’y a rien de biologique chez les hommes qui les conduisent à se comporter ainsi. » En effet, à notre naissance, seuls 10 % des connexions neuronales sont actives. Les 90 % restants se modèlent en fonction de l’apprentissage et de l’expérience. Cela suppose donc que les hommes et les femmes ne sont pas éduqués de la même manière, et ne vivent pas leurs expériences de la même façon. Leur éducation, leurs fréquentations et la société poussent les hommes vers des comportements plus violents et agressifs. Ils ne sont pas biologiquement programmés pour être brutaux. Par conséquent, la domination masculine est une construction sociale qu’il est possible de déconstruire. 

Bon à savoir : 

La testostérone n’est pas responsable d’un comportement plus agressif. Chez un même individu, un niveau élevé de cette hormone peut aussi bien être associé à un comportement altruiste qu’agressif. Plus un être humain se comporte de manière violente, plus son taux de testostérone augmente. C’est donc le comportement qui agit sur cette hormone et non l’inverse. 

Comment réduire les coûts inhérents à la virilité ?

Déconstruire le système de valeurs de la virilité dès l’enfance 

Tout d’abord, qu’est-ce que la virilité ? Le dictionnaire nous apprend que c’est « l’ensemble des caractères physiques de l’homme adulte ; qui constitue le sexe masculin ». C’est donc un concept qui rassemble des attributs de force et de puissance masculine. 

Dès leurs premiers jours, les nouveau-nés fille et garçon ne sont pas traités de la même manière. En effet, inconsciemment ou non, les parents sont plus affectifs et empathiques envers leur fille, et moins sensibles avec leur garçon. Les valeurs transmises lors de l’éducation diffèrent également : 

  • utilisation d’un vocabulaire moins compatissant, 
  • transmission de stéréotypes (« ne pleure pas comme une fille », « soit fort comme un homme »…),
  • démonstration de force dans les jeux (soldats de plomb, armes factices…),
  • illustration de la virilité au travers de livres et de films montrant des hommes qui s’adonnent à des « violences légitimes pour sauver le monde ». 

Depuis des milliers d’années, « les hommes grandissent dans une double injonction : obéir aux règles, mais désobéir pour prouver qu’ils sont de vrais hommes ». Effectivement, tout au long de leur vie, ils sont poursuivis par ces valeurs inculquées dans leur enfance. Ils sont également les victimes d’une société machiste qui les pousse à des comportements à risque pour prouver leur virilité. En effet, les hommes prennent davantage de risques que les femmes. Ils sont aussi plus enclins à avoir des rapports pathologiques avec la drogue, l’alcool ou la vitesse. Ces comportements dangereux ont des conséquences sur leur santé, mais également sur la société. 

Remettre en question les valeurs machistes de notre société patriarcale

Mais alors comment pourrions-nous faire pour réduire ces comportements asociaux ? Pour Lucile Peytavin, la réponse tient premièrement dans l’éducation. Les femmes ayant un comportement plus pacifiste et adapté à la vie en société, il faudrait éduquer les petits garçons de la même manière que les petites filles. Les parents pourraient ainsi : 

  • verbaliser davantage leurs sentiments pour rendre leur fils plus empathique,
  • le laisser jouer avec des poupons pour qu’il apprenne à s’occuper d’autrui,
  • l’astreindre au strict respect des règles de vie en société, 
  • lui faire comprendre que les mots ont plus de force que les poings.

Deuxièmement, Lucile Peytavin propose de travailler à la valorisation de la féminité. En 2023, certains hommes ont tendance à dévaloriser ce qui est féminin. Or, il convient d’apprendre aux garçons que tout ce qui est féminin n’est pas méprisable. De même que tout ce qui est considéré comme masculin n’est pas forcément viril. Ces modes de pensée créent des comportements sexistes qui ne permettent pas la déconstruction de la virilité. Pour ce faire, chaque acteur de la société doit se remettre en question et prendre conscience des valeurs qu’il véhicule. Il sera alors plus simple de modifier les comportements, en pleine conscience. 

« On ne nait pas homme violent, on le devient. On ne nait pas femme pacifique, on le devient ». 

Dès l’enfance, nous inculquons aux garçons des valeurs machistes de virilité. Condamnés à s’y soumettre, les études ont prouvé qu’ils sont nombreux à développer des comportements à risque et à commettre des actes de délinquance ou de criminalité. En 2021, 96 % de la population carcérale française était masculine, mais Lucile Peytavin nous montre que ce n’est pas une fatalité. Nous avons tous le pouvoir de transformer la société en changeant nos modes d’éducation et en valorisant les comportements dits « féminins », plus aptes à la vie en société. En attendant, en « en refusant d’éduquer nos garçons comme nos filles, nous condamnons l’État et la société à payer le coût de la virilité, soit 95 milliards d’euros par an ». 

Le sujet vous intéresse ? Écoutez l’épisode 5 du podcast Les Mariannes

Mathilde LEROY pour Les Mariannes

Sources :

Variances – Combien vaut une vie statistique ?

Libération – Pourquoi une vie vaut 3 millions d’euros (en France) ?

Géo – Préhistoire : quelle place pour les femmes ? 

Hominides – Quand les hommes et les femmes étaient égaux

Édupass – L’éducation des filles et des garçons : Paradoxes et inégalités

Cairn – Déconstruire la crise de la masculinité

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